C’est le rendez-vous de celles qui font leur chance. Dans une cuisine industrielle nichée au coeur du quartier design— avenue Royalmount, une vingtaine de réfugiées syriennes s’émancipent grâce à leur travail au sein de la jeune entreprise de service traiteur, Les Filles Fattoush. Au menu: des mets typiquement syriens. Mais aussi, une histoire de partage, de culture et de savoir-faire.
Aux côtés du centre de distribution du géant à bas prix Dollarama, situé dans le secteur industriel de Ville Mont-Royal, une petite porte nous mène dans une cuisine où il fleure bon les épices du Moyen-Orient.
Wiam, Juliette et Abir sont arrivées sur le coup de dix heures ce matin. C’est un peu le rush. La commande de mezzé pour un anniversaire de 25 personnes doit sortir sous peu.
C’est l’abondance sur les comptoirs: salade de taboulé, de betterave, baba ganousch, Yalanji (feuilles de vigne farcies), soujouk (rouleaux frits faits de viande épicée, baklavas…Ça roule! Mais tout va.
La cuisinière, Wiam, se fait un plaisir de bredouiller en français qu’ « en Syrie, j’étais en comptabilité. J’ai travaillé pendant 21 ans pour Syrianair [la compagnie aérienne nationale de la Syrie]. »
Puis d’un gros «Yes », elle confie qu’elle aime beaucoup son nouveau travail. « Parce que je cuisinais toujours à la maison…» explique-t-elle, mais aussi « pour mes amies ici. »
Wiam est arrivée en janvier 2016 à Montréal. Tout comme Juliette, sa collègue, qui entame sa première journée derrière les fourneaux aujourd’hui. Juliette était avocate dans son pays. « La cuisine pour moi, c’est un loisir et j’aime beaucoup ça ! », affirme-t-elle promptement. Ces deux femmes font partie des plus de 40 000 réfugiés syriens accueillis au pays depuis 2015.
L’équipe des Filles Fattoush, du nom de la salade syrienne— parfumée à l’épice sumac, au goût acidulé— compte aujourd’hui 22 employées à temps partiel, au salaire de 12,50 $ de l’heure. Elles ont en moyenne 45 ans, et si certaines étaient femmes au foyer dans leur pays d’origine, d’autres étaient aussi vendeuse, traductrice, éducatrice à l’enfance, ou encore joaillière.
Une mission sociale
L’instigatrice de ce petit collectif de femmes, c’est Josette Gauthier, directrice de la société Triplex Films, spécialisée dans la production de documentaires à caractère social.
L’idée lui est venue lors de son dernier projet, Théâtre de la vie, de Peter Svatek, un documentaire sur l’initiative sociale du chef italien Massimo Bottura, qui ouvre une soupe populaire en Italie, en cuisinant à partir de déchets alimentaires pour les gens dans le besoin. Une coproduction avec l’Office national du film du Canada qui a reçu plusieurs prix prestigieux à travers le monde.
« Ce projet, raconte Mme Gauthier, nous a amené à Berlin, où il y avait le Libanais, Kamal Mouzawak, [l’activiste du mouvement Make food not war]. Ce dernier « forme des femmes dans des camps de réfugiés au Liban pour ensuite vendre de la nourriture traiteur. Bref, j’ai eu l’idée à l’été 2017 et en automne on avait déjà des contrats », indique-t-elle.
Cette entreprise à économie sociale, « est un mélange entre une entreprise et un OBNL, à cause de la mission sociale », précise la fondatrice. « C’est la mission sociale qui drive la business! »
Une telle initiative, dont la mission est de permettre aux femmes de gagner un salaire en plus de créer des liens entre elles et avec la communauté d’accueil, existe aussi à Toronto. Il s’agit de l’OBNL, Newcomer Kitchen, lancé en 2016. Chaque semaine, des réfugiées syriennes sont invitées à cuisiner des repas dans un espace prêté du restaurant The Depanneur. Elles mettent ensuite leurs repas en ligne, et le tout est disponible au comptoir ou en livraison.
« Le groupe a fait l'objet de dizaines de reportages dans le monde et un film documentaire est en préparation. Il y a un an, M. Trudeau a visité l’endroit et son visage souriant est fièrement affiché dans la cuisine », rapportait le New York Times récemment, dans son article Toronto Suddenly Has a New Craving: Syrian Food.
La cuisine: un outil d’intégration
« L’intégration, ça vient avec la langue. Et ça vient avec le travail », soutient la cofondatrice de la PME, Adelle Tarzibachi, une Aleppine arrivée au Canada en 2003.
« Notre mission, c’est vraiment de faire sortir les femmes.» Lors des services traiteurs, qu’ « elles parlent en français; qu’elles soient en contact avec les gens d’ici. Qu’à travers la cuisine, elles montrent leur culture… Qu’elles aient un premier emploi. Que cela leur apporte une indépendance financière: ce dernier point est très, très important », illustre-t-elle.
Pour cette Canadienne d’origine syrienne, mettre l’épaule à la roue pour aider ses compatriotes, « c’est la moindre des choses. » Mme Tarzibachi est par ailleurs une femme d’affaires. Son entreprise, Adeco Import, lancée en 2009, qui importe d’authentiques savons d’Alep, permet non seulement de valoriser le patrimoine syrien, mais aussi, et surtout, de maintenir en vie de petites savonneries familiales dans sa ville natale.
Qu’on ne s’étonne pas de voir arriver de nouveaux produits, tels que des épices importées de Syrie avec le brand Les Filles Fattoush prochainement. L’idée est déjà en branle.
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